Bains de forêt : testé pour vous
Plongée en plein bois à la recherche d'un bien-être fuyant
Je suis un urbain comme on en fait peu. Mon biotope est bruyant, clinquant, plein d’opportunités. Bref, la ville est ma vraie nature. L’idée de prendre un bain de forêt m’a donc immédiatement semblé aussi peu évidente qu’un congrès sur la décroissance organisé dans le quartier des banques de Genève.
Pour corser la chose, je me veux pragmatique et les expressions du type recentrer ses émotions dans le réel ou vivre les choses en pleine conscience m’arrachent − au mieux − un sourire poli.
Heureusement, je me fonds dans le groupe d’un peu moins de 20 personnes. Beaucoup de têtes grises parmi nous et plus de femmes que d’hommes. Nombreux sont celles et ceux qui connaissent ces balades et tous tiennent à jouer le jeu.
A l'étroit dans mes chaussures
Le jeu ? C’est d’abord une promesse faite par Cynthia, l’animatrice de ces bains en forêt, dès notre arrivée au Bois de Chênes, près de Genolier : nous allons nous mettre au rythme des arbres et notre taux de cortisol, l’hormone du stress, va baisser.
Dans le silence et la lenteur du lieu, elle va nous proposer, sans obligation, de la suivre dans un processus d’observation et de vie. Déjà à l’étroit dans mes chaussures de cuir fraîchement cirées − et peut-être pas tout à fait adéquates pour l’occasion − je me promets, à mon tour, de me laisser aller.
Sortir le lourd, le mauvais
Car déjà cette forêt, sauvée par quelques-uns du développement immobilier et citadin, nous a saisis. A la queue leu leu, sans dire grand-chose, nous atteignons une large clairière où nous formons cercle.
En quelques mots, Cynthia nous invite à une respiration efficace, épaules levées puis abaissées, bras en l’air puis vers le sol, les yeux dans les arbres puis les mains frottant les bras, le cou, les jambes, les yeux, les oreilles, les cheveux, toujours soufflants, nous sortons tout ce qui est lourd, mauvais de nos consciences et de nos corps.
La forêt nous baigne
C’est simple et, pour autant que l’on s’y prête, efficace. Cynthia évoque Hokusai et la capacité phénoménale de ce célèbre peintre et graveur japonais, de regarder, vraiment ! D’observer la vie, en nous, en dehors de nous, à travers nous.
Si le propos peut paraître nébuleux, le bois me parle. Alors que nous repartons, l’étang de la Baigne aux Chevaux s’offre à nous, avec sa roselière roussie par l'automne au milieu des arbres intouchés.
Nous marchons dans un silence d’église et, comme un secret peu à peu révélé, l’écho du ruisseau nous atteint : petite cascade au pied des chênes et des hêtres. La balade est lente, les yeux, les oreilles, les doigts de chacun sont partout et c’est la forêt qui nous baigne.
On furète, le nez en l'air
Halte sur un petit pont. «Adossez-vous à un arbre, sentez sa respiration. Ouvrez-vous à lui. Sentez-vous une différence en vous ? On peut penser que c’est une activité pour bobo citadin en mal de nature [a-t-elle vu clair en moi ?] mais essayez tout de même.»
Je saisis le tronc choisi à pleins bras : champignons, mousses, écorces et lierre, rugosité et odeurs. Je suis séduit envoûté par l’instant. On repart. Chacun furète, le nez en l’air ou au ras du sol, occupé à contempler ce qui échappe totalement à son voisin.
«N’hésitez pas à toucher, à humer»
On musarde. On s’étonne d’une couleur, d’une forme arrondie sur un tronc, de choses qu’on ne voit jamais et qui sont là. Et lui, tiens ! il s’arrête. Que peut-il bien voir que je ne vois pas ? Qu’entend-il que je ne perçois pas ?
«N’hésitez pas à toucher, à humer !» La plupart n’a pas besoin d’encouragement. Un tintement léger, puis plus proche. Nous débouchons sur une large clairière. Au loin, des vaches paissent.
Les détails prennent une dimension inusitée
En face de nous, un impressionnant chêne solitaire à sept troncs jauge notre petite troupe. Nous formons des groupes de deux. Le premier guide le second qui ferme les yeux. Au signal, l’aveugle regarde pendant quelques secondes ce qui lui est présenté.
Dans ce format, les moindres détails d’une herbe ou d’une feuille entrevues prennent des proportions émotionnelles inusitées. L’attention est décuplée par ces instantanés de réel.
Désirable silence
Bardane sèche, soue de sanglier ou branchule d’aubépine, odeurs d’herbe... Soudainement, tout est beau, tout est neuf, soumis à cette attention scrupuleuse qui rappelle le sérieux des jeux d’enfants.
Le silence n’est-il pas hautement désirable dans une société à haut bruit comme la nôtre ? C’est le sens du poème-slam que Cynthia nous dit avant de repartir pour la ferme-château, lieu de notre pause de mi-journée.
Il montre son cul rond
L’après-midi, nous franchissons les limites de la Réserve intégrale et scientifique du Bois de Chênes. Nouvelle manière de regarder et de vivre ce qui nous entoure, le haïku. En trois vers non rimés de quelques syllabes, on donne une ambiance, on dit un lieu.
Chacun en reçoit un exemple en guise d’inspiration. Le mien : « Énorme, il montre son cul rond, le potiron. » J’apprendrai plus tard qu’il fut écrit par Natsume Sōseki, un auteur japonais du début du XXe siècle.
Il n’y a pas de petites choses
À l’affût de sujets pour nos poèmes minimalistes, nous sommes aux aguets. Le bois devient forêt vierge car ici, interdiction de rien toucher, de rien ôter. Les troncs se font supports à champignons géants. Certains lieux prennent des allures de mangrove sèche.
Soudain, des cris. À l’arrière, le biologiste et l’ingénieur forestier, chevilles ouvrières de l’Association pour le Bois de Chênes, promotrice du maintien de ce patrimoine, et qui nous accompagnent depuis le matin, n’en reviennent pas : « Un staphylea pinnata, ici ! » « Incroyable », dit l’un. « Merveilleux », renchérit l’autre.
Dans les faits, l’arbuste qui les arrête ainsi ne nous paraît pas plus intéressant que son voisin, tout aussi rabougri. Nous sourions, mais nous comprenons désormais. Il n’y a pas de petites choses pour celui qui regarde assez longtemps.
Cynthia Cochet a animé cette plongée dans le biotope local dans le cadre des activités proposées par l’Association pour le Bois de Chênes de Genolier (ABCG). Le lieu, situé à quelques kilomètres de Nyon (VD), s’étend sur 140 ha, autour de 500 m d’altitude. 38 ha constituent la Réserve intégrale et scientifique, surface dans laquelle aucun abattage n’est permis.
Fondée en 2007, l’ABCG s’est donnée pour but de préserver et de valoriser au mieux cet endroit patrimonial unique. Tout un chacun peut en tout temps visiter les bois, participer aux activités proposées ou adhérer à l’association pour la modique cotisation de 10 francs par année.
Y aller: Depuis Nyon, bus 820
Arrêt : Coinsins, Auberge
Rte de Coinsins / abcg.ch