Connaissez-vous ces insolites traditions de l'hiver suisse?
Carnavals, fêtes de Noël, célébrations du Nouvel An: à la découverte d'un folklore étrange et parfois méconnu...
Loisirs.ch s’est amusé à se perdre au pays des traditions vivantes pour vous en ramener les plus jolies, étonnantes ou étranges. Hiver après hiver, ces fêtes uniques en leur genre impriment de nouveaux souvenirs à nos mémoires tout en continuant de puiser aux sources les plus immémoriales. C’est ça, la magie du folklore ! La tenue de ces manifestations étant fortement compromise durant l'hiver 2020-2021, pandémie de coronavirus oblige, il était d’autant plus tentant de les raviver... par les mots.
De décembre à mars, le calendrier helvétique garde vivaces des célébrations parfois cocasses, pour beaucoup héritées des siècles passés. D’un temps où il y avait moins de travail pour les paysans en hiver, leur offrant de laisser libre cours à leur créativité pour occuper leur journée… Chaque région possède ainsi ses rendez-vous incontournables qui racontent, avec force originalité, les légendes, croyances et exploits de nos ancêtres. Si, par exemple, l’histoire de Noël et de la naissance du Christ est bien connue de tous, elle n'est pas la seule manière de célébrer la fin de l’année en Suisse.
Les traditions de Noël et de fin d'année
Photo © Pierre Cuony
Saint-Nicolas, taille patron
A Fribourg, saint Nicolas est aussi connu que son lointain cousin le père Noël. Patron de la ville de Fribourg, ainsi que des enfants, il est célébré le premier samedi de décembre lors de réjouissances qui drainent chaque année plus de 20 000 spectateurs. On sait pourtant peu de choses sur ce personnage, si ce n'est qu’il fait référence à un évêque turc, Nicolas de Myre, dont la légende s’est bâtie autour de sa charité et de sa bienveillance.
Plus de 20 000 personnes
pour le discours satirique
de la Saint-Nicolas
L’un des temps forts de la Saint-Nicolas à Fribourg est bien sûr la traversée de la ville, qu’il effectue à dos de son âne Babalou ! Entouré de pères fouettards et de flambeaux, il distribue aux enfants des biscômes et friandises le long de la route. Cette tradition du cortège vient du haut Moyen Age, une époque où de nombreux défilés de saints personnages étaient organisés en ville. Le cortège de Saint-Nicolas avait lieu en même temps que la Foire aux Etrennes. Les débordements de la foire contredisant un peu le message religieux, les deux événements ont été interdits vers 1760.
Ce sont les élèves du Collège Saint-Michel qui ont ressuscité le cortège en 1906. La procession prend fin devant la cathédrale qui porte son nom, puis saint Nicolas monte sur le balcon où il harangue la foule d’un discours plein d'humour et d'ironie sur l’année écoulée.
Depuis le fond des âges, les paysans de la région d’Urnäsch, en Appenzell, expriment leurs bons vœux de ferme en ferme les 31 décembre et 13 janvier, accoutrés de curieux costumes. Photo © Switzerland Tourism / Alessandra Meniconzi
Silverterklaus: double Nouvel An
A Urnäsch en Appenzell Rhodes Extérieures, le Nouvel An invite chaque année les magnifiques Silverterkläuse et leurs cloches. Dans cette région où la tradition est restée la plus pure, la nouvelle année est célébrée deux fois: le 31 décembre selon le calendrier grégorien adopté par le canton au XVIIIe siècle, et le 3 janvier en souvenir de l’ancien calendrier julien.
Pendant ces deux journées, Urnäsch se réveille dans le silence et l’obscurité : toutes les lumières ont été éteintes pour préparer l’arrivée des Silverterklaüse. Ils sont reconnaissables à leurs imposants costumes surmontés de masques, dont les plus beaux sont de véritables coiffes ornées de miniatures de bois. Les Silverterkläuse se déplacent en groupes (Schuppel) et viennent toquer aux maisons en faisant sonner leurs grelots. Ils chantent alors aux habitants du yodle sans paroles en échange de thé ou de vin chaud et d’une somme symbolique.
Les Silverterkläuse ont des origines floues. Certains voient dans ces personnages un moyen d’éloigner les esprits, d’autres soulignent une parenté avec saint Nicolas (Niklaus). Depuis plusieurs décennies, il s’agit d’une des traditions les plus vivantes de la région
Les origines ancestrales du carnaval
L’autre volet important des traditions hivernales en Suisse est bien sûr le carnaval. Les rites se construisent au fil des époques sur des rumeurs, des faits divers ou des événements historiques. La plupart des coutumes calendaires ont cependant une origine païenne ou religieuse et reflètent les différentes étapes de l’année agricole.
L’hiver, quand le travail des champs et des pâturages est à l’arrêt, est le moment où la terre se régénère. Cela passe par une période de retour au chaos originel pendant laquelle elle peut se ressourcer pour mieux renaître. Ce schéma est celui que reproduisent les fêtes romaines des Saturnales, Bacchanales et Lupercales, premières inspirations de nos carnavals modernes.
Les chrétiens qui arrivent dans nos régions y intègrent de nouveaux éléments: la chasse aux démons et esprits maléfiques, ainsi que la purification des péchés par le feu. Le terme "carnaval" vient aussi du christianisme, avec le mot latin "carnelevare" qui signifie "s’abstenir de viande", comme on le faisait à l’époque pendant le carême.
Encore très présents en Suisse, surtout dans les cantons catholiques, les carnavals actuels sont heureusement colorés de connotations plus gaies: ferveur, chansons, déguisements, cortèges de chars sous une pluie de confettis. Les traditions s’adaptent aux goûts du jour mais n’oublient rien des histoires qui les ont forgées.
Les empaillés comptent certainement parmi les personnages les plus impressionnants et les plus emblématiques de l’inénarrable carnaval d'Evolène. Photo © Valais/Wallis Promotion
Evolène: hauts les masques !
A Evolène, depuis toujours, on célèbre carnaval entre l’Epiphanie et Mardi gras. Dans le val d’Hérens, "depuis toujours" n’est pas une figure de style: les premiers masques datent de la préhistoire, ce qui suppose que ces coutumes existaient déjà. Depuis, le carnaval n’a cessé d’évoluer et de s’adapter à la société. C’est la grande force de cette tradition bien vivante: sa popularité auprès des jeunes d’Evolène qui préparent chaque année avec soin leur costume et font vivre la région pendant le carnaval selon un cérémonial bien établi.
Peluches et empaillés sèment
la terreur dans le village…
Le 6 janvier, les peluches sont les premiers personnages à prendre possession de la commune. Elles sont habillées d’immenses manteaux de fourrure et de masques à l’effigie d’animaux, traditionnellement des chats, des loups et des renards. Bruyantes, odorantes, rustres, câlines et sensibles aux charmes des jeunes filles, elles monopolisent toute l’attention. Malgré leur caractère sauvage, il convient de ne pas les fâcher: par leur lien mystique avec les forces de la nature, ce sont elles qui ont la mission de chasser les esprits malfaisants responsables des tragédies: avalanches, maladies, mauvaises récoltes.
Le dimanche avant Mardi gras est le jour des empaillés. Ces créatures imposantes investissent le village à la sortie de la messe. Le costume est composé d’un sac de jute rempli de 30 kg de paille. Outre leur taille impressionnante, ce sont aussi leurs masques tourmentés qui ont tendance à repousser les passants. Sculptés à la main dans du bois d’arolle, ces masques emblématiques représentent des diables, des sorciers ou des humains. Le masque est le reflet des angoisses et des peurs profondes, que l’homme doit rechercher afin de mieux se connaître.
Parmi les empaillés, un individu ne rentre pas chez lui le dimanche soir: c’est la Poutraze, le bonhomme hiver d’Evolène responsable de ce désordre ! Chassée et jugée, la Poutraze est mise à mort sur le bûcher.
Au pays des Tschäggättä
Les Tschäggättä n’apparaissent que dans la vallée du Lötschental. Ces monstrueux personnages pointent le bout de leurs naseaux entre la Chandeleur et le Gigiszischtag, soit le mardi précédant le mercredi des Cendres. Leur apparence est terrifiante, avec des masques de bois et des costumes de peaux et de fourrures d’animaux.
A l’origine, leur rôle était de déambuler dans les villages et de chasser ceux qui avaient l’audace de se trouver dehors la nuit tombée. Ils n’hésitaient pas à empoigner les malheureux badauds pour les couvrir de cendres. Certains allaient même jusqu’à entrer dans les maisons et voler de la nourriture.
Ces excès ont conduit à l’interdiction du carnaval en 1865, avant qu’il ne revienne au début du XXe siècle sous une forme moins violente. Pendant longtemps, seuls les hommes pouvaient revêtir le costume de Tschäggättä. La tradition s’est depuis ouverte aux femmes et aux enfants, et les mœurs des Tschäggättä se sont bien adoucies.
Il faudra probablement patienter jusqu’à 2022 pour assister à la mise à mort du Rababou, temps fort du célèbre carnaval des Bolzes à Fribourg, qui draine chaque année des milliers de joyeux drilles- Photo © Olivier Bürgy
Bonhomme Hiver: au feu !
A l’instar de la Poutraze d’Evolène, de nombreux carnavals romands cultivent leur avatar du Bonhomme Hiver. Cette tradition, presque universelle dans les pays froids, symbolise le passage de l’hiver au printemps par la combustion de cette effigie expiatoire qui prend les traits d’une grande poupée de chiffons pouvant dépasser les 10 m de hauteur !
Une poupée de chiffons pouvant
dépasser les 10 m de haut…
A Fribourg par exemple, le carnaval des Bolzes brûle Rababou le dimanche à la Planche Supérieure, tandis que les enfants font de même le lundi avec le petit Rababou. Parmi les crémations les plus impressionnantes, celle du "Böög" à Zurich est le temps fort du carnaval. La tradition, née vers le XVIe siècle, renvoie à une pratique des jeunes garçons qui, en marge du Sechseläuten, brûlaient leur Bonhomme Hiver après l’avoir baladé dans les rues en criant.
Au début du XXe siècle, le cortège des garçons hurleurs se transforme en cortège des enfants et le "Böög" devient le personnage principal de la fête du printemps, sous la forme d’un bonhomme de neige géant. Selon les croyances, la vitesse à laquelle se consume le Bonhomme Hiver est un présage pour la belle saison: plus il brûle rapidement, plus l’été sera généreux.
Aux Grisons, le village de Samnaun c'est fait une réputation internationnale avec son insolite championnat du monde des pères Noël. Photo © Switzerland Tourism / Nadja Simmen
Traditions 2.0
Preuves vivantes que la tradition l'est tout autant, des manifestations contemporaines voient le jour et inscrivent sur nos calendriers de nouvelles habitudes.
Les sorcières bien-aimées
A Belalp, on raconte qu’une sorcière hante le village... Elle aurait été brûlée vive pour avoir assassiné son mari. L’histoire est aussi vieille que les neiges du glacier d’Aletsch, mais la course qui célèbre sa légende n’a pas encore 40 ans. Chaque année, des créatures aux nez crochus et armées de balais défilent à Belalp pendant une semaine. La station valaisanne organise également une course de ski extrêmement populaire où les concurrents s’affrontent sur 12 km entre Hohstock et Blatten... et avec des déguisements !
Un championnat un peu toqué
pour désigner le meilleur père Noël…
Le père Noël est un champion
Depuis l’hiver 2000, le village de Samnaun dans les Grisons organise une compétition pour le moins insolite: l’élection de la meilleure équipe déguisée en père Noël. D’une portée internationale, l’événement réunit des épreuves aussi originales que des descentes en traîneau, une épreuve de géographie, la décoration de pains d’épices, la sculpture de blocs de glace, des escalades de cheminée, des exercices au trampoline, une course de rênes et un concours d’emballage. Une occasion unique de découvrir qui est le meilleur père Noël !